Comment seront assurées les voitures autonomes de demain ?
Face au changement de société que représente le développement des voitures à délégation de conduite, les assureurs sont contraints de s'adapter. Le secteur se prépare à voir émerger des risques jusqu'alors insoupçonnés.
74% des assureurs ne sont pas préparés à couvrir les risques que représente une voiture autonome. Crédit : capture d'écran du site de Google.
La fréquence des accidents devrait chuter de 80% d'ici 2040, selon une étude du cabinet KPMG, publiée en juin 2015. Des chiffres à faire pâlir d'envie les gouvernements actuels, toujours en quête de plus de sécurité routière. Ces prévisions, pour le moins encourageantes, sont en partie dues au développement des voitures autonomes. Il n'en reste pas moins que les véhicules à délégation de conduite, s'ils sont réputés plus sûrs, commencent à soulever de nouvelles problématiques chez les assureurs.
"Tous les assureurs ont en tête l'arrivée des voitures autonomes"
La perspective de voir ces voitures, techniquement au point et opérationnelles, rouler sur nos routes suscite dans le secteur un grand nombre de questions. 74% des assureurs ne seraient pas bien préparés à l'arrivée sur le marché de ces véhicules sans conducteurs et près de 40% affirment redouter la mise en place d'une concurrence nouvelle dans le domaine assurantiel. "Tous les assureurs ont en tête l'arrivée des voitures autonomes et attendent de savoir comment cette technologie va évoluer", confie Yann Arnaud Directeur Pilotage, Performance, Produits et Tarifs à la Macif.
Car si les facteurs humains sont responsables de la quasi-totalité des accidents, l'intelligence artificielle n'est pas pour autant fiable à 100%. "Il est évident que dans un certain nombre de cas la voiture à délégation de conduite aura un impact sur la sinistralité. Néanmoins, elle n'évitera pas la grêle ou une plaque de verglas", précise Yann Arnaud.
Il y a quelques semaines, une voiture autonome de Google a causé le premier accident de ce type sur une route de Californie. Il ne s'agissait que d'un petit accrochage, certes, mais il n'en aura pas fallu beaucoup plus pour relancer le débat : à qui la faute ?
Fournisseur, constructeur ou conducteur ?
"Pour savoir qui est responsable, il faudra répondre à la question suivante : quel est le statut de celui qui se trouve dans le véhicule ?", déclare d'emblée Rémy Josseaume, président de l'Automobile club des avocats. Aujourd'hui, deux hypothèses sont envisagées.
Soit la personne assise derrière le volant reste le conducteur, comme la loi l'établit actuellement. Si tel était le cas, ce serait éventuellement à lui de prouver que le véhicule a été défaillant. "Soit c'est un passager, auquel cas, il n'est plus présumé coupable. A l'inverse, ce sera la fiabilité de la robotique qui sera directement remise en cause", indique Rémy Josseaume.
Tout le monde en est au stade de la réflexion sans avoir de certitude
Laurent Hecquet, fondateur du think tank Automobilité et Avenir
Afin de mieux visualiser l'enjeu, il est possible aujourd'hui d'effectuer un parallèle avec le régulateur de vitesse qui sert à stabiliser de façon automatique la vitesse d'un véhicule. Le conducteur reste responsable, mais s'il estime que la technologie a fait défaut, il peut se retourner contre le constructeur.
De même qu'avec cette option, le problème qui se pose pour les voitures autonomes est de savoir comment remonter la chaîne des responsabilités. Il sera donc nécessaire que les assureurs et les enquêteurs aient accès aux données du véhicule.
Or, c'est loin d'être gagné. Selon Yann Arnaud, ce partage des données ferait partie des discussions officieuses en cours entre assureurs et constructeurs. "Il faut qu'il y ait un libre accès aux données. Imaginons qu'un constructeur se retrouve avec une série de 1.500 accidents, l'enjeu sera tel que le constructeur ne pourra pas être le seul à avoir accès à ces données", projette le directeur Pilotage, Performance, Produits et Tarifs à la Macif.
Seulement, les constructeurs "ne voient pas d'un bon oeil le fait d'avoir investi beaucoup d'argent dans ces technologies et que tout le monde puisse aller fouiller dans le véhicule. Malheureusement, ils vont être obligés de faire des concessions".
Un modèle assurantiel en pleine mutation
En terme d'indemnisation, ce sont surtout les dommages corporels qui coûtent cher aux assureurs. On peut dès lors imaginer qu'avec moins de sinistres, les cotisations seront moindres. D'après Yann Arnaud, il est fort probable que les constructeurs soient amenés à prendre en charge la responsabilité civile, c'est-à-dire tous les sinistres dans lesquels le véhicule est mis en cause. Un moyen de rassurer les consommateurs sur la fiabilité et la sécurité de la voiture.
Ce n'est pas la fin de l'assurance, mais les assureurs devront adapter leur modèle
Yann Arnaud Directeur Pilotage, Performance, Produits et Tarifs à la Macif
Le métier d'assureur étant de répartir les risques, les limites d'un tel système se feraient vite ressentir. "Il suffit d'une erreur sur une chaîne de fabrication pour avoir un problème avec tous les véhicules assurés. Il faudrait alors imaginer une logique de co-assureurs, un nouveau moyen pour répartir les risques", indique Yann Arnaud.
Des risques nouveaux vont émerger
Si la sinistralité a de fortes chances de baisser en même temps que le développement des véhicules autonomes, la part du vol ou du dommage pourrait, quant à elle, augmenter. Même en admettant que les prix soient dégressifs, avec toute la technologie contenue dans ces voitures, remplacer un rétroviseur ou un pare-brise coûterait davantage qu'aujourd'hui. A cela, s'ajoute le problème des hackers qui pourront prendre le contrôle des véhicules à distance.
"A la Macif, l'arrivée des voitures autonomes ne nous fait pas peur. Il y a une source importante de nouveaux services. La potentialité d'évolution du métier est énorme", s'enthousiasme le directeur Pilotage, Performance, Produits et Tarifs au sein du groupe.
Pour beaucoup, les véhicules autonomes verront très probablement le jour d'abord sur des sites bien encadrés. A l'instar de navettes dans les parcs d'attractions ou dans les aéroports. "Ce sera plus facile à gérer, car le vrai problème qui se pose c'est pour partager la route. Il faut prévoir la réaction des autres. C'est ça qui rend les choses compliquées pour les assureurs", prévoit Laurent Hecquet, fondateur du think tank Automobilité & Avenir.
De son côté, Rémy Josseaume croit en "un véhicule partiellement autonome". "Mais tout ceci est peut-être une fausse révolution, peut-être que les personnes voudront toujours conduire et appuyer sur l'accélérateur. Seul l'avenir nous le dira".
Une fausse révolution ? En attendant, l'Unece (United Nations Economic Commission for Europe) a modifié le 23 mars dernier la Convention de Vienne afin de rendre possible la commercialisation des véhicules à délégation de conduite.