"Sans un fichier positif, nous n'arriverons pas à fluidifier l'accès au crédit"
L'année 2017 a marqué une baisse du nombre de dépôts de dossiers liés au surendettement. Cependant, la paupérisation de certains foyers concernés continue et inquiète.
Maxime Pekkip, chargé de mission prévention du surendettement CRESUS. @EYFRANCECARRIERE
Quel bilan tirez-vous de cette année 2017 vis-à-vis du surendettement ?
Maxime Pekkip, chargé de mission prévention du surendettement CRESUS : "C'est une année très décevante. Les opportunités d'aller de l'avant ont été nombreuses, mais les occasions ont été trop souvent gâchées à la fois par les institutions, le gouvernement et les établissements bancaires. Une vraie politique de prévention du surendettement n'a malheureusement pas pu être impulsée.
Comme sur ces dernières années, beaucoup d'initiatives ont été mises en place, comme la charte d'inclusion bancaire et les outils de prévention du surendettement notamment. Pour essayer d'étendre la prévention auprès du grand public, le gouvernement est également à l'origine de quelques actions, notamment à propos de l'éducation financière et budgétaire, l'offre client spécifique et l'obligation de détection et prévention du surendettement, mais aussi du plafonnement des frais bancaires. De nombreuses opportunités qui n'ont, malheureusement, eu aucun impact, parce qu'elles n'ont pas été appliquées.
Cependant, nous pouvons mettre des points positifs en avant, comme les premiers effets du raccourcissement du délai des plans, ou encore l'amendement du député Laurent Grandguillaume, qui ont abondé dans ce cadre préventif. Beaucoup de progrès ont été faits. Le souci reste la lenteur d'application".
La baisse du nombre de dossiers de surendettement déposés est-elle un réel motif de satisfaction ?
M.P : "C'est de la foutaise. C'est comme le langage des fleurs, on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres. Dans un contexte où il s'agit de défendre sa ligne budgétaire, on a tendance à annoncer des bonnes nouvelles.
La réalité est toute autre, la prise en compte du statut de l'auto-entrepreneur dans la procédure de surendettement n'est toujours pas d'actualité. Ceux-ci sont exclus de la procédure. Quand un auto-entrepreneur est en difficulté, il est jugé irrecevable.
On constate aussi qu'il y a moins de structures capables d'accompagner les personnes pour le dépôt de dossier de surendettement. Avec la baisse des dotations des collectivités, il y a forcément moins d'accueil possible pour accompagner les personnes afin de remplir leur dossier qui fait 83 pages... Ce n'est pas un document qui se remplit à la légère.
Aussi, nous avons de plus en plus de personnes, qui, pour s'en sortir, prennent une activité sous statut d'auto-entrepreneur, et qui se retrouvent dans une impasse si cette activité n'est pas pérenne. Moins de 10% de dépôts de dossiers de surendettement au cours de l'année 2017, il faut se poser la question, est-ce qu'il n'y a pas 10% d'anciens surendettés qui ont créé leur entreprise auto-entrepreneuriale ?
Pourquoi le nombre de dossiers a-t-il baissé ? Je ne pense pas que ce soit à cause de ce que nous appelons la « conjoncture ». La réalité est que certains organismes financiers ne jouent pas le jeu. Ils sont donc les passagers clandestins des dispositifs que nous avons évoqués précédemment".
Cette baisse est-elle un semblant d'espoir, ou une réelle perspective d'évolution pour les Français ?
M.P : "Il y a des bonnes et des mauvaises nouvelles. Nous nous rendons compte de la réalité du surendettement. Des dispositifs qui marchent sont mis en place pour accompagner les personnes en réelles difficultés. Ce qu'il faudrait faire, c'est créer une communauté d'acteurs privés et publics pour accompagner les personnes, les détecter le plus vite possible et arriver à l'accès au droit. Là où le bât blesse, c'est que la politique aveugle basée sur des idées reçues et des interprétations de statistiques, est complètement à côté de la plaque".
La tendance à la paupérisation des ménages surendettés vous inquiète-t-elle ?
M.P : "Elle est très inquiétante, et a tendance à nous faire penser, indirectement, aux prémices de la crise financière. En tant que Français, si nous n'avons pas subi cette crise des crédits aux particuliers de plein fouet à l'époque, cela pourrait finir par arriver plus rapidement qu'on ne le croit".
Des actions sont-elles envisageables pour soutenir les plus petits budgets qui se retrouvent aujourd'hui en grande difficulté ?
M.P : "Le problème est le même pour tout le monde. Les politiques publiques et d'aides sociales sont calibrées sur des idées reçues et des statistiques erronées. Ces personnes en difficulté ne rentrent donc pas dans les cases de l'administration, elles ne sont donc pas détectées".
Quelles sont les actions à mettre en oeuvre pour que la distribution de crédits puisse être enfin responsable ?
M.P : "Aujourd'hui, en Europe, lorsque vous contactez un organisme de crédit, celui-ci vérifie combien de prêts vous avez préalablement contracté. Pourtant, ce système de « fichier positif » n'existe pas en France. Nous sommes le seul pays européen, avec l'Albanie, à ne pas en disposer. Sur le reste du globe, le Luxembourg, Cuba et la Corée du Nord ne l'ont également pas adopté. Ce système devrait être une solution envisageable, tout comme l'éventualité de connaître l'encours de crédits exact d'un emprunteur. Aujourd'hui, les banques ne connaissent plus leurs clients et sont réticentes au partage de données les concernant. Nous nous retrouvons donc avec des bénéficiaires à 60, 70, 80, parfois même 150 crédits.
A l'heure actuelle, sans ce fichier positif, nous n'arriverons pas à fluidifier l'accès au crédit. Nous devons mettre en place des programmes d'éducation budgétaire en sortant du Powerpoint. Par exemple, pour proposer quelque chose de ludique, chez Crésus, nous avons développé le programme « Dilemme », grâce auquel nous avons touché 200 000 jeunes en 3 ans. Cependant, nous sommes déçus de ne pas pouvoir travailler avec les services de l'état qui pourraient nous ouvrir la porte pour nous permettre de nous occuper de personnes en difficulté comme le font aujourd'hui, les établissements de crédit, les banques et les mutuelles".
En 2017, un ménage sur deux n'avait aucune capacité de remboursement. A quoi s'attendre pour 2018 ?
M.P : "Nous devons nous attendre à pire pour 2018. Cependant, la procédure de prévention du surendettement pourrait bien s'accélérer avec ce qu'on appelle la déjudiciarisation. Une bonne nouvelle pour le contribuable. Les possibilités de contestation par les créanciers pourraient diminuer, ces derniers ayant comme objectif clair de vider le stock. Comment vider le stock ? On efface tout. Nous sommes déjà à 50% d'effacement des dettes et des créances bancaires et à 94% d'encours financiers pour une moyenne de 40.000€. En Europe, cette moyenne est de 20.000 € !".
Pour 2018, quels vont être les axes forts en matière de surendettement et comment va-t-il évoluer ?
M.P : "Les études typologiques me permettent de mettre en avant des profils types immédiats. Pour moi, l'encours moyen est de 70.000€, la proportion de propriétaires de 37% de propriétaires, l'âge moyen de 48 ans, et des revenus moyens de 2.350 €. Je pense que la paupérisation va s'accentuer, en touchant de plus en plus de ménages avec des encours immobiliers.
Les procédures de traitement longues et compliquées, avec des dossiers d'une durée de 15 à 20 ans, pourraient gagner en proportion. D'autre part, de plus en plus d'effacements sont à prévoir, donc de pertes. C'est donc le contribuable qui risque d'en faire les frais.
En ce qui concerne les équipements domestiques par exemple, nous constatons une augmentation de l'effacement des dossiers destinés à financer des panneaux photovoltaïques ou des pompes à chaleur. Les ménages se sont rendu compte que, là-plupart du temps, c'était des arnaques.
Sur les dossiers que nous allons traiter en 2018, je pense que nous aurons de plus en plus de professionnels (autoentrepreneurs et professions libérales). En Alsace, nous avons une procédure qui permet de traiter ce type de dossier alors que, malheureusement, ce n'est pas le cas dans le reste de la France".
Les Français doivent-ils être méfiants ?
M.P : "Il est clair qu'ils doivent être méfiants, mais la prudence, c'est mieux. Pour un ménage sur endetté, la recherche de solutions est une évidence puisque ce n'est pas son conseiller bancaire qui s'en chargera à sa place. Savez-vous qu'un conseiller bancaire a 15 minutes par an et par client ? Si vous attendez qu'il vous appelle et qu'il s'occupe de vous, c'est déjà un minimum de 300 € de frais bancaires Nous sommes cependant heureux de l'engagement des établissements de crédit, et le progrès des banques de détail en termes de prévention du surendettement".
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