Cryptomonnaie : pourquoi les grandes entreprises optent-elles pour les monnaies virtuelles ?
Nike, Facebook, Samsung... Ces géants de différents secteurs se tournent tous vers la cryptomonnaie pour proposer des services nouveaux. Mais dans quels buts ?
Et si nous étions à l'aube d'un véritable tremblement de terre ? Un monde où les banques, les monnaies fiduciaires, comme l'euro ou le dollar, ne voudraient plus dire grand-chose. À l'heure actuelle cela relève de l'utopie.
Pourtant, de nombreux signes semblent indiquer que dans un futur plus ou moins proche, les cryptomonnaies pourraient prendre une place importante dans le monde financier, mais pas seulement.
D'ailleurs, les instances financières semblent prendre la question au sérieux. Le World Gold Council s'est par exemple déjà exprimé en ce sens en déclarant publiquement qu'une monnaie type Bitcoin pourrait potentiellement saper l'influence des banques centrales.
De même, la directrice du Fonds Monétaire International, Christine Lagarde, a expliqué qu'à terme, les cryptomonnaies peuvent remplacer les banques centrales et les banques internationales. Des déclarations loin d'être anodines pour des instances faisant autorité dans le monde de la banque et de la finance. L'avenir passerait ainsi par la cryptomonnaie et la technologie Blockchain.
Loin d'être uniquement cantonné à ce secteur, de nombreuses entreprises privées s'emparent aujourd'hui de la technologie Blockchain pour créer leurs propres monnaies virtuelles.
Facebook a notamment annoncé le lancement de sa propre « stable coin » avec à terme des objectifs qui dépassent pour l'instant notre imagination. Les autres GAFA devraient bientôt suivre. Des entreprises comme Samsung ou Nike ont également en ligne de mire la création de monnaies qui risquent bien de modifier profondément notre rapport à la consommation en apportant des solutions de paiements nouvelles en rapport avec leurs services.
Dans cet article, nous essaierons donc de mieux comprendre ce que tout cela impliquerait pour le secteur, autant que pour le consommateur.
La dénationalisation de la monnaie n'est plus si taboue
Partons donc de cette posture, celle d'un monde où les cryptomonnaies s'installent durablement. Une posture d'ailleurs pas si saugrenue à en écouter l'avis de certains spécialistes. Futuriste et auteur, Thomas Frey estime par exemple que « Les crypto-monnaies vont engloutir environ 25% des monnaies nationales d'ici à 2030 ». Pour lui, ce constat se base sur une donnée factuelle simple à comprendre : « Elles sont simplement beaucoup plus efficaces, dans leur fonctionnement ».
Pour l'instant, tout le monde ne sera pas d'accord pour dire qu'une monnaie privée pourrait bientôt supplanter des monnaies fiduciaires, notamment à cause de la volatilité trop importante de la cryptomonnaie.
Néanmoins, l'hypothèse d'une monnaie d'origine privée, ouverte, transparente, sécurisée, décentralisée et capable de s'étendre à grande échelle est tout à fait concevable. Notamment si elle s'appuie sur la réputation d'une entreprise qui possède des millions voire des milliards d'utilisateurs à travers le monde.
Pour faire simple, disons simplement que à l'heure actuelle, imaginer une dénationationalisation de la monnaie n'a plus rien de tabou. Reste désormais à imaginer la réaction des États ou des utilisateurs vis-à-vis de ces monnaies. Si pour les utilisateurs, une assimilation à ses habitudes de consommation pourrait se faire naturellement. Dur d'imaginer que les différents pays acceptent facilement de se voir priver d'une partie de leur influence, à la fois politique, culturelle et financière.
Rien qu'en France, un phénomène qui pourrait paraître anodin, commence à se faire sentir en même temps que se déploient des nouveaux moyens de paiements. On observe ainsi une faible proportion des transactions en monnaie fiduciaire (en espèces) au profit de la carte bancaire et des nouveaux moyens de paiements électroniques qui, eux, connaissent une croissance toujours plus importante.
De là à imaginer que le mouvement s'amplifie au fur et à mesure que la technologie Blockchain se développera, il n'y a qu'un pas. D'ailleurs, selon un récent rapport d'IDC, les dépenses mondiales dans les solutions blockchain s'élèveront à 2,9 milliards de dollars en 2019, soit une croissance de 88,7% en comparaison à l'année précédente.
Maintenant, il serait bien présomptueux d'annoncer que cela aboutira à la disparition de la monnaie fiduciaire. Dans beaucoup de pays, l'utilisation de l'espèce reste dominante. Aux Etats-Unis, il s'agit du moyen de paiement numéro un, représentant environ 40% des transactions totales. Pour l'instant, une cohabitation semble bien plus envisageable.
On remarquera simplement que l'avancée de la technologie se ressent à travers une dématérialisation de la monnaie et une accélération de la vitesse de circulation de cette dernière.
C'est bien cela que les grandes entreprises semblent avoir compris. Il y a peu, Forbes a publié le « Blockchain's Billion Dollar Babies », soit la liste des 50 entreprises dont la valorisation est supérieure à 1 milliard de dollars et qui explorent activement la blockchain.
Parmi elles, on retrouve des entreprises telles que qu'Allianz, Amazon, BNP Paribas, Facebook, Google, IBM, Microsoft, Nasdaq, Oracle, Samsung ou encore Walmart.
Facebook : l'exemple le plus parlant
De toutes ces entreprises, l'exemple de Facebook est peut-être celui qui sera le plus représentatif.
Le postulat de départ est simple : le réseau social est présent à travers le monde entier. Il possède des milliards d'utilisateurs. Ses messageries WhatsApp (1,5 milliard d'utilisateurs), Messenger (1,3 milliard) et Instagram (1 milliard) cumulent déjà des millions d'utilisateurs actifs mensuels.
Même s'il est pour l'instant prématuré d'imaginer les possibilités que pourraient permettre le « Facebook Coin ». Plusieurs pistes semblent privilégiées.
Tout d'abord, il pourrait être utilisé pour des paiements et des transferts d'argents de monnaie via Messenger et WhatsApp. Facebook pourrait alors faciliter les transactions (envoie d'argent, paiement...) via son immense réseau. Transférer son argent à l'international, rembourser ses amis... Les applications seraient alors très élargies.
Le 30 janvier dernier, lors de la présentation des résultats de l'entreprise pour l'année 2018, Mark Zuckerberg a d'ailleurs insisté sur l'importance que pourraient prendre les services de messagerie dans le développement des services de Facebook. Cela est notamment le cas pour les pays moins bancarisés. Il n'est pas toujours facile d'ouvrir un compte dans une banque traditionnelle ou de réaliser des achats en ligne. C'est dire le potentiel que représente ce marché pour le mastodonte américain.
>> Pour aller plus loin : Cryptomonnaie : Paypite lance une monnaie à destination des « Francophones »
Plus encore, selon les informations Wall Street journal, reprise ensuite par Le Figaro, il permettrait également de rémunérer les utilisateurs « pour avoir regardé des publicités, interagit avec du contenu et effectué des achats sur sa plateforme. Les gains récoltés leur permettraient ensuite de faire des achats en ligne auprès de commerçants ».
Pour cela, la cryptomonnaie de Facebook, si elle voit le jour sous cette forme, prendrait davantage la forme d'un « stable coin ». C'est-à-dire d'une cryptomonnaie moins volatile que peut l'être le Bitcoin.
Toujours selon les informations du « New-York Times », ce « Facebook coin » serait donc adossé sur le cours de plusieurs devises et donc moins volatile. Facebook pourrait garantir la valeur de sa monnaie grâce aux actifs qu'elle possède sur ses comptes bancaires (en dollars par exemple). En définitive, cela se traduirait par moins de spéculations mais plus de stabilité pour le grand public, cible visée en priorité par le social network.
>> Pour aller plus loin : Cryptomonnaie : les « stable-coin » sont-ils l'avenir ?
Dans ce sens, on a appris vendredi dernier que Facebook aurait entamé des discussions avec Visa et Mastercard concernant un projet de cryptomonnaie basée sur le dollar. Si jamais cela fonctionne, libre à l'entreprise de faire ensuite évoluer son modèle.
Dans la même veine et toujours selon les rumeurs, Samsung serait également en train de développer son modèle de cryptomonnaie basé sur Ethereum, le principal concurrent du BitCoin. Le Samsung coin serait lui directement lié au Samsung Pay. Le Galaxy S10 intègre déjà un « portefeuille pour monnaies cryptographiques » aux États-Unis, au Canada ainsi qu'en Corée du Sud.
>> Pour aller plus loin : Cryptomonnaie : Samsung investit dans une start-up Française
Enfin, Nike a déposé la marque « Cryptokicks » auprès du Bureau américain des brevets et des marques de commerce et pourrait bientôt lancer une crypto-monnaie. Selon Josh Gerben, fondateur du cabinet d'avocats américain Gerben, l'entreprise à la virgule pourrait bientôt proposer « une monnaie ou un jeton numérique à utiliser par les membres d'une communauté en ligne via un réseau informatique mondial".
Pour le moment tout cela reste encore assez abstrait tant les entreprises refusent encore de communiquer clairement sur ces projets. Ils représentent en effet des enjeux cruciaux pour pas mal d'entre elles.
Ceci étant, ces manoeuvres pourraient bien enclencher des transformations profondes et aussi engendrer quelques dangers.
Banque centrale privée et capitalisme de surveillance
Pour expliciter tout cela, reprenons l'exemple de Facebook. Et si, dans quelques années, le réseau social devenait la première banque centrale privée au monde ?
Une nouvelle fois, c'est le New-York Times qui pointe du doigt cette possibilité. En partant du principe qu'un ensemble de services sont directement reliés au Facebook Coin, la valeur d'usage (c'est-à-dire l'utilité du bien par rapport au besoin et à la demande de ce bien dans la société) au vu de sa communauté – d'environ 2.3 milliards d'utilisateurs – permettrait de ne plus déprendre des monnaies traditionnelles.
Mieux encore, plus Facebook proposera une gamme de services importantes, moins les utilisateurs auront intérêt à sortir de l'écosystème.
Par ailleurs, son choix de s'adosser à un panier de devises peut être vu comme une volonté de Facebook de pas prendre le dollar comme unique référence. Et donc, dans une certaine mesure, de s'émanciper de l'influence potentielle du gouvernement américain.
Le panier de devises permettra sur le moyen long-terme de faire accepter ce coin au niveau international. En tant qu'émetteur d'une devise ayant une crédibilité sur le marché mondial, Facebook agirait non seulement comme une banque commerciale, mais aussi comme une banque centrale.
En sachant que seul 26% des utilisateurs de Facebook résident en Amérique du Nord ou en Europe, ce choix apparaît légitime de la part de réseau estampillé Mark Zuckerberg. Enfin, disposant d'un portefeuille mobile de FB coin, l'intérêt des cartes bancaires deviendrait alors tout relatif. Certains géants du secteur pourraient donc se voir largement impactés.
Dans l'absolu, cette banque centrale privée ne sera pas nécessaire quelque chose de mauvais. Par contre, d'un point de vue plus général, ces nouveaux moyens de paiements poseraient de véritables questions d'un point de vue plus libertaire.
Outre des questions indéniables que poseront ces systèmes vis-à-vis de la cybersécurité, c'est bien la protection de la vie privée qui deviendra un véritable enjeu.
Les transactions potentielles seront-elles entièrement confidentielles ? Comment une entreprise gérera-t-elle les informations concernant les transferts financiers ? La possibilité qu'elle se servent de ces informations à des fins de personnalisations ou à des fins monétaires n'est certainement pas à exclure.
Ainsi, il reste à espérer que l'avènement des coins liés aux grandes entreprises ne fasse pas écho à un scénario digne de Georges Orwell....
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