[INTERVIEW] "Le fait d'apporter plus de sécurité et d'adapter la réglementation va permettre d'être plus efficace face au blanchiment"
Avec l'arrivée des cryptomonnaies, de nouveaux processus de réglementations et de vérifications se mettent en place afin de combattre plus efficacement les fraudes et le blanchiment d'argent via les cryptoactifs. Typhaine Gaudemer, directrice France d'ID NOW a accepté de répondre à nos questions sur le sujet.
Typhaine Gaudemer, directrice France d'ID NOW a répondu aux questions de BoursedesCrédits.com
Pour le dernier volet de notre dossier spécial consacré aux enjeux de la cryptomonnaie en France, BoursedesCrédits.com donne la parole aux experts. Typhaine Gaudemer, directrice France chez ID NOW, a accepté de répondre à nos préoccupations concernant la cryptomonnaie.
Elle nous parle notamment de la régulation des cryptomonnaies à travers un processus nommé « Know Your Customer » qui permet de vérifier l'identité des clients et ainsi lutter face aux risques de fraudes intrinsèquement liés aux cryptoactifs. Un enjeu très important dans la mise en place de la loi PACTE et dans la démocratisation des cryptomonnaies.
BoursedesCrédits.com : En quoi, selon vous, la vérification de l'identité est-elle un enjeu majeur pour la démocratisation des cryptomonnaies ?
Typhaine Gaudemer, directrice France d'ID NOW : C'est essentiel car on voit de plus en plus de cas de fraudes via les cryptomonnaies. J'ai pu voir une étude d'Europol qui estime que 3 à 4 % des blanchiments d'argent en Europe sont faits via les cryptomonnaies, et que la tendance est plutôt à la hausse. Il y a un vrai enjeu par rapport à cela. Le fait d'apporter plus de sécurité et d'adapter la réglementation va permettre d'être plus efficace face au blanchiment.
Aux Etats-Unis, l'AML (organisme anti-blanchiment) et la régulation « Know your Customer » (KYC) estiment que seulement 32% des entreprises de crypto respectent les normes. Une régulation trop agressive n'entraînerait-elle pas l'arrêt ou le ralentissement de nombreux projets ? Êtes-vous plutôt favorable à une réglementation stricte ou à un modèle plus souple ?
T.G : Il ne faut pas forcément avoir une régulation très stricte, mais je pense qu'il y a tout de même un minimum à effectuer. Aujourd'hui, on voit des grandes disparités entre les différents pays d'Europe. L'Allemagne va être très stricte et imposer une vidéo-conférence avec un agent pour l'enrôlement des nouveaux clients tandis que d'autres pays vont accepter un simple téléchargement de la pièce d'identité. Après, il est possible de vérifier l'identité dans différents cas de figures. On peut vérifier l'identité en cas de retrait des cryptomonnaies ou en cas d'ICO (Initial Coin Offering), ce qui sera un peu plus contraignant pour les utilisateurs.
Je pense qu'il ne faut pas être trop contraignant, on voit que les utilisateurs de cryptomonnaies tiennent à l'anonymat, si les règles sont trop contraignantes, elles risquent de ne pas être appliquées. Il y a également un problème de coût qui est lié : plus les règles sont strictes, plus il y a une spécificité bien précise à suivre et qui engendre des coûts pour les cryptomonnaies. Je suis plutôt adepte d'une régulation plus souple.
Justement, vous parlez d'une grande disparité de réglementation entre les différents pays, pensez-vous qu'une régulation mondiale ou au moins européenne soit indispensable pour avoir une réglementation efficace ?
T.G : Je pense, en effet, que c'est très important d'avoir une réglementation au moins européenne voire mondiale. D'ailleurs, c'est déjà en cours, il y a le FATF (Financial Action Task Force ndlr) qui est en train de finaliser des nouveaux standards internationaux. Je crois que c'est prévu pour cet été. Les pays membres sont fortement incités à suivre ces recommandations même s'il n'y a pas de contraintes juridiques à proprement parler. C'est important dans ce domaine, mais également dans d'autres, l'homogénéisation favorise les échanges et évite une concurrence un peu biaisée comme on peut en voir dans différents secteurs d'activités.
On parlait également d'anonymat, est-ce que, selon vous, le principe du « Know Your Customer » ne va pas à l'encontre même des principes de la Blockchain ?
T.G : Pas forcément, il y a une différence entre le process et les utilisateurs. Les utilisateurs peuvent être identifiés et le process rester anonyme. Le problème de l'anonymat total est qu'il y a des risques de déviances que l'on a déjà identifiés. Je pense que c'est un peu utopique, surtout dans un domaine financier, de promouvoir l'anonymat complet.
Depuis un an, les plateformes de cryptomonnaies ont de plus en plus recours au KYC (Know your Customer) notamment à travers deux modèles, l'identification vidéo et la photocopie électronique. Quel est selon-vous le modèle le plus efficace ?
T.G : À IDNow, on propose les deux solutions. Avec l'identification vidéo, on a une sécurité supplémentaire, on peut poser des questions, interagir avec le client. Maintenant, il faut pouvoir trouver le bon ratio entre la sécurité et les coûts. Pour reprendre l'exemple de l'Allemagne, je pense qu'ils vont un peu loin dans la réglementation dans la mesure où ils imposent une solution technique. Selon moi, on peut imposer certains types de contrôle sans imposer une solution. On peut, par exemple, capturer la ligne « MRZ » de la carte d'identité et vérifier si elle est correcte, vérifier certains aspects soit dans la carte ou en réalisant une comparaison faciale, mais pas forcément imposer une solution technique, je trouve ça trop restrictif.
Une cryptomonnaie comme LIBRA n'a donné aucune indication sur ses intentions de respecter les régulations de l'anti-blanchissement ou KYC ? Est-ce inquiétant selon vous ?
T.G : C'est Facebook... Au niveau du respect des réglementations, ce ne sont pas forcément les meilleurs élèves. Maintenant, il y a pleins de pays qui n'ont pas encore adopté une réglementation, je pense qu'ils espèrent pouvoir surfer sur la vague le plus longtemps possible. C'est vrai que pour faire office de bon élève, il aurait été pertinent pour eux de montrer qu'ils misent sur la sécurité, mais je pense que ce n'est pas leur objectif premier. À mon avis, ils souhaitent avant tout avoir le plus de clients possibles et faire du profit.