Monnaies locales : payer autrement qu'en euro chez votre commerçant, c'est possible !
Les monnaies locales complémentaires, surtout présentes dans la moitié sud de la France, connaissent un succès grandissant. À quoi servent-elles ? Comment ça marche ? Bourse des Crédits fait le point.
Créée en 2013, l'eusko compte 2.700 utilisateurs et représente l'équivalent de 370.000 euros en circulation. (Crédit photo : capture écran Arte future).
Il y a l'Abeille et la MIEL, la Pêche et le Radis. Mais attention, ces noms gourmands sont trompeurs. Pour les habitants de Montreuil, la "pêche" évoque peut-être moins le fruit que le nom de leur monnaie locale, en circulation depuis juin 2014.
En tout, on en dénombre 37 sur le territoire métropolitain, et presque autant en projet. 37 noms dont les sonorités révèlent souvent un attachement territorial fort : l'eusko au pays Basque, le stück à Strasbourg, ou encore le boyard à La Rochelle et sur l'Île de Ré.
Chaque monnaie locale complémentaire (MLC) a ses spécificités mais globalement, le schéma est le même. On peut les convertir dans des banques partenaires, ou directement auprès de commerçants appelés "comptoirs de change". Leurs valeurs sont les mêmes que l'euro (1 pour 1).
Pas de pièces, ni d'épargne, ni de crédit
Les pièces n'existent pas. Certaines monnaies sont virtuelles, d'autres sous forme papier, avec des billets de 1, 2, 5, 20 et 50. Côté design, c'est l'association ou le collectif porteur du projet qui décide des symboles sur les billets. À Montreuil par exemple, une artiste locale s'est chargée de dessiner des lieux de la ville.
Autre particularité, les MLC sont fondantes : il faut les utiliser rapidement, car au bout de quelques mois, elles perdent de la valeur. Un système qui permet de mieux faire circuler l'argent. Aussi, elles excluent l'épargne, le crédit, et ne sont pas concernées par la fiscalité.
Tout comme le bitcoin, "leur objet se limite à être échangé contre des biens et des services, et non à servir de base à un système de collecte de dépôts et de crédit", souligne Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI (Chambre de commerce et d'industrie) Paris Ile-de-France.
Favoriser les circuits courts
Mais pourquoi encombrer son portefeuille d'une autre monnaie, quand l'euro existe ? Parce que ces monnaies se veulent éthiques et solidaires. Pour les initiateurs des MLC, c'est une autre manière d'encourager "une production et une consommation respectueuse de la nature et des hommes, à l'aide d'une charte à laquelle doivent se conformer les prestataires", indique à l'AFP l'association De main à main, à l'origine de la tinda, une monnaie locale lancée en juin près de Pau.
Résultat, les partenaires sont bien souvent des magasins bio ou écolo, des associations ou des restaurants. Du moins, au début. "Les adhérents étaient plutôt bobo au départ, mais nous avons très rapidement réussi à sortir de ce cercle, en touchant des écoles, des comités d'entreprise, des chômeurs", explique Bruno De Menna, coordinateur du projet Sol-Violette, à Toulouse.
Le but de la monnaie locale est de favoriser les circuits courts et les commerces de proximité.
Bruno de Menna
En général, le succès d'une monnaie locale dépend du soutien des collectivités locales. "Un élu chargé de l'économie solidaire a permis que la MLC se lance plus vite que prévu", se souvient-il.
En 2014, l'association reçoit 85.000 euros de la mairie de Toulouse. Une contribution qui représente "un peu moins de 60 % de notre chiffre d'affaires", précise le coordinateur. Sans compter le financement provenant des adhésions, des autres collectivités, des donations privées...
"Faites de votre monnaie un bulletin de vote"
Là aussi, la volonté d'amener une réflexion autour de la consommation locale et de la citoyenneté a été un moteur. Avec le slogan du Sol-Violette, "faites de votre monnaie un bulletin de vote", les fondateurs ont voulu faire comprendre aux Toulousains que "la façon dont nous consommons a un impact sur le fonctionnement de notre société".
Aujourd'hui, l'association compte plus de 2.000 adhérents. Le Sol-Violette est utilisé par 205 prestataires, une collectivité, deux banques éthiques, quatre maisons de chômeurs, un lycée et trois quartiers entiers. D'ici 2016, trois communes de Toulouse métropole – Colomiers, Tournefeuille et Blagnac – l'expérimenteront.
Un projet de carte bancaire pour l'eusko
Mais pour Bruno De Menna, la réussite ne se mesure pas forcément au nombre d'adhérents : "Notre plus gros succès, c'est le maintien du Sol-Violette 4 ans et demi après sa mise en circulation, la création de nouveaux partenariats, et les futures zones de circulation".
L'association voit grand : elle aimerait, en plus du papier, passer sur une version électronique du Sol-Violette. Elle ambitionne aussi, dans le moyen terme, de permettre une convertibilité entre les monnaies locales de toute la France.
L'eusko, la monnaie la plus développée du réseau français, ne compte pas non plus s'arrêter en si bon chemin. Un projet de carte de paiement serait à l'étude, ce qui représenterait une première nationale.
"Uniformiser le système monétaire le rend plus fragile"
Encore mal connues, les MLC ont pourtant émergé un peu partout en France depuis 2010. Après le krach financier de 2008, l'Abeille a été la première monnaie locale à déployer ses ailes à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne).
On peut remarquer que la création de ces nouvelles monnaies intervient souvent pendant les périodes de crise géopolitique (conflits, guerres) ou économiques, afin de répondre à des besoins non ou mal satisfaits
Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI Paris Ile-de-France.
D'où l'objectif des MLC : "Repenser la fonte de la monnaie, se la réapproprier", rappelle Olivier Truche, formateur pour la coopérative EcoSol. "Certains mécanismes sont intéressants, comme l'eusko ou la Pêche : quand une personne convertit ses euros en monnaie locale, elle peut choisir de reverser la commission de 5 % à l'association de son choix", précise-t-il, admiratif.
Pour Bruno De Menna, "le fait d'uniformiser le système monétaire le rend plus fragile, les monnaies locales servent à absorber les chocs économiques". À l'instar des "variétés d'arbres dans la forêt", ce serait donc une diversité saine, nécessaire.
Et demain, la grande forêt des monnaies locales devrait se diversifier encore un peu plus. Le galais sera lancé dans les 54 communes du pays de Ploërmel, au sud de la Bretagne. Soit 70.000 utilisateurs potentiels. En gallo, le dialecte local, galais signifie "petit arbre".