[INTERVIEW] « L'épargne sans risque ne rapporte plus rien et va peut-être même coûter à l'épargnant »
Alors que les taux sont historiquement bas, les banques doivent faire face à une baisse de leur rentabilité. Face à une concurrence souvent féroce, elles doivent se réinventer. Dans ce contexte, Benoît Grisoni, Directeur général de Boursorama répond aux questions de Bourse des Crédits.
Benoît Grisoni, directeur général de Boursorama
En août, les derniers chiffres de l'Observatoire Crédit Logement/CSA consacraient une nouvelle baisse du taux immobilier moyen (1,17% contre 1,20% en juillet). Si la situation semble toujours aussi idyllique pour les ménages qui souhaitent réaliser un crédit immobilier, elle l'est beaucoup moins pour les épargnants.
Par ailleurs, le président de la BCE Mario Draghi n'a pas fermé la porte à une nouvelle baisse des taux à la mi-septembre et a également annoncé qu'ils ne devraient pas remonter avant l'été 2020. Ainsi, de nombreuses banques ont déjà alerté sur un ralentissement de leurs moteurs de croissance.
Dans ce contexte, les banques connaissent une baisse de leur rentabilité. Pour les banques en ligne, qui proposent souvent des prix défiants toute concurrence, les enjeux sont encore plus élevés. Benoît Grisoni, directeur général de Boursorama, a répondu aux questions de Bourse des Crédits sur ce sujet.
Bourse des Crédits : Certaines firmes européennes, en Italie ou en Allemagne ont déjà annoncé qu'elles n'atteindraient pas leurs objectifs. Globalement à travers l'Europe, les banques ne cessent d'alerter sur la baisse de la rentabilité du secteur. En France, elles se montrent plus rassurantes, comment l'expliquer ? Est-ce une simple posture ou bénéficie-t-on de certains atouts ?
Benoît Grisoni, directeur général de Boursorama : Le contexte est mauvais pour les banques depuis longtemps étant donné que les taux sont bas depuis un certain temps. Contrairement à la situation d'il y a trois ou quatre ans, elles ont adapté leurs modèles économiques et financiers. Chaque pays à sa spécificité. D'un pays à l'autre, les marchés sont différents et les taux d'intérêts ne sont pas exactement les mêmes.
La France à la particularité d'avoir beaucoup de mutualistes qui, eux, n'ont pas tellement de raisons de redouter les marchés financiers. En tout cas moins qu'une banque privée qui ne possède pas forcément les mêmes objectifs de rentabilité. La baisse des taux reste néanmoins négative pour les banques, c'est une certitude. Les banques françaises, longtemps vues comme frileuses ont accéléré leur mutation. C'est probablement ce qui explique ce discours. Mais entre le discours et la réalité... Cela dépendra de la durée et de l'intensité de la baisse des taux, mais aussi de phénomènes macro-économiques et géopolitiques qui sont très largement imprévisibles. Les Français ont un système bancaire très robuste, nous l'avons prouvé. Cela est, par exemple, visible dans notre capacité à octroyer des prêts immobiliers. Pour autant, nous ne sommes pas hors du monde, à la fin on suit aussi la logique d'autres pays européens....
On sait que si la situation peut être favorable aux emprunteurs, c'est moins le cas pour les épargnants. Est-ce que cela pourrait pousser les banques françaises et notamment les banques en ligne à facturer les dépôts d'argent des clients comme on commence à le voir en Suisse ou en Allemagne ?
B.G : Dans la banque en ligne, il est vrai que l'on engrange moins de revenus liés aux commissions. Cela est factuel, car nous sommes moins coûteuses. Chez Boursorama, nous prenons, par exemple, très peu de frais bancaires (11 euros par an). Mais parallèlement, les banques en ligne n'ont pas du tout la même structure de coût qu'une banque « traditionnelle ». L'écart de commission est largement compensé par l'économie de coût que représente la banque en ligne. Grâce à notre modèle économique basé sur l'autonomisation du client et des processus automatisés nous parvenons à réaliser une économie de coût et donc à récupérer cet écart de commission.
Après, sur la facturation des dépôts, évidemment qu'à terme, si les conditions de taux restent similaires, il y aura peut-être un alignement du marché. Les frais de tenue de compte se sont relativement généralisés, ce n'est pas vraiment une facturation des dépôts mais c'est une pratique qui se démocratise depuis deux ou trois ans. Cela reste une manière comme une autre de facturer la tenue de compte. Si la situation reste ainsi, peut-être que cela ira plus loin.
Pour l'épargnant, la logique est plus compliquée. Il devient difficile de faire du gain grâce à l'épargne de précaution. La question sous-jacente est ici plutôt culturelle. En Europe, et en France plus particulièrement, les épargnants sont plutôt averses aux risques. Dans le cas de la France, nous possédons des systèmes de protection et de retraites spécifiques, cela ne nous a pas mis dans des dispositions culturellement portées vers des produits d'épargne plus risqués. Avant les possibilités étaient plus grandes, aujourd'hui ça se resserre. Toute la partie épargne de précaution n'a quasiment plus de sens. Elle va très vite s'ajuster et ça ne sera pas possible de rémunérer le sans risque, s'il est négatif sur le long-terme.
Est-ce que cette conjoncture vous oblige à vous réinventer ou au moins à envisager une modification de votre modèle commercial ?
BG : Forcément, d'autant plus lorsque l'on possède un niveau de croissance comme le nôtre. Depuis 2015, nous sommes dans une stratégie de conquête très forte vis-à-vis des clients. Ce modèle ne sera pas remis en cause. Nous avons d'ailleurs réaffirmé nos objectifs. Nous souhaitions atteindre 2 000 000 de clients en 2020 et nous visons désormais 3 000 000 en 2021. La barre des 2 000 000 devrait être franchie en fin d'année.
Notre stratégie globale ne changera pas. Notre rationnel industriel et économique est très simple et cohérent avec les attentes des consommateurs, à savoir : gagner du pouvoir d'achat, être dans des logiques d'expérience client un peu différente de ce qu'était historiquement la banque de détail. Un client autonome veut pouvoir tout faire avec son épargne et son crédit 24h/24 et 7j/7, il veut également pouvoir économiser de l'argent et épargner
En revanche, d'un point de vue organisationnel et de notre modèle, le contexte pose des questions. Nous avons moins de visibilité. De là à appliquer des changements de tarifs, nous ne sommes pas du tout dans cette démarche.
Concrètement, pensez-vous que la période puisse demeurer favorable pour le client sur le long-terme ? En clair, la situation est-elle tenable sur le moyen-long terme pour les banques ?
B.G : Elle le sera si la banque se transforme et se réinvente. Et je parle ici de la banque en général. Chez Boursorama, nous avons l'avantage de ne pas avoir à effectuer de modifications structurelles liées à la digitalisation. Elle est déjà intégrée à notre modèle. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut s'en contenter. Il y a des néo-banques qui arrivent, des acteurs plus traditionnels qui se transforment et qui vont challenger nos offres. Le marché est très nouveau et différent, ce qui nous pousse également à rester humble.
Pour le consommateur, la situation est à relativiser. Depuis 2015, ils ont eu la chance de pouvoir s'endetter à des meilleures conditions et ont même racheté et renégocié très massivement leurs prêts au détriment des banques. Pour autant, la baisse des taux n'a pas été positive sur l'épargne de précaution et malheureusement cela va continuer. Par contre, sur la partie crédit, il y a eu un système de vases communicants. Il y a également la bourse qui depuis le début de l'année et plus globalement depuis 3 ou 4 ans a pu bénéficier aux épargnants. La bourse sous toutes ses formes restera une perspective pour les épargnants. Les Français vont devoir s'en emparer un peu plus s'ils veulent avoir des rendements sympathiques sur 20 ou 30 ans. Par contre, le sans-risque ne rapporte plus rien et va peut-être même couter à l'épargnant.