Surendettement : « Le registre national des crédits aux particuliers devrait englober l'ensemble des crédits »
A l'occasion du passage du fichier positif des crédits devant le Sénat, Jean-Louis Kiehl, président de la fédération des associations Cresus a répondu aux questions de Bourse des Crédits.
Jean-Louis Kiehl, président de la fédération des associations Cresus
Le Sénat a donné son feu vert à la mise en place d'un registre des crédits aux particuliers, mais êtes-vous satisfait de sa forme ?
Jean-Louis Kiehl : « C'est un début, après 20 ans de tergiversation. Une partie des crédits ne seront pas inclus dans ce registre, dont ceux souscrits avant la mise en place du fichier positif. Il se constituera au fil de l'eau et évoluera. Il faut pour le moment l'accepter tel qu'il est ».
En 2011, vous appeliez à sa mise en place auprès des candidats à l'élection présidentielle.
J.-L. K. : « Au moment de la loi Lagarde, le Parlement avait basculé en sa faveur. La grosse erreur a été la création d'une commission qui l'a enterré. Il n'y a pas de meilleur moyen d'empêcher un texte de passer que de créer une commission ».
Cela a été un long combat ?
J.-L. K. : « Oui. On en sort épuisé. Ça a donné une mauvaise image du crédit et du banquier avec ce spectre du surendettement. A terme on souhaiterait que ce registre englobe l'ensemble des crédits présents, passés et futurs.
Aujourd'hui, seuls les crédits consommation seront inscrits. Pas les crédits immobiliers. Il y aura une mauvaise appréciation de la solvabilité des ménages avec cette absence. Les crédits immobiliers pèsent, en moyenne, sur près d'un tiers du revenu d'un ménage.
Pour les crédits renouvelables, seul le capital restant dû sera retenu. Or une réserve d'argent permet difficilement d'évaluer un risque bien réel. De même, le découvert maximal autorisé devrait y figurer ».
Qui pourra accéder à ce fichier ?
J.-L. K. : « Tout citoyen inscrit au registre pourra consulter sa fiche. Les établissements financiers et bancaires le pourront également, mais uniquement lorsqu'une personne sollicitera un prêt. Toute consultation abusive est très sévèrement punie par la loi.
Le FCIP (Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers) devrait également être fusionné avec ce registre. Il faudrait même aller plus loin et fusionner aussi le FCC (Fichier central des chèques) ».
La France est-elle en retard dans la lutte contre le surendettement ?
J.-L. K. : « La plupart des pays ont aujourd'hui un registre des crédits, sauf quelques pays encore en situation de sous-développement, et à cöté de ceux-là, la France. Si on rapporte l'ensemble des dettes par rapport au nombre de Français, notre pays apparait comme peu endetté, environ 2000€ par personne. C'est peu. Pourtant, pour les personnes ayant un crédit actif, les sommes sont beaucoup plus importantes. Le montant moyen d'un dossier de surendettement en France, est de 38.000€, contre 15.000€ en Belgique. En France, on prête de façon aveugle, mais en maîtrisant le risque. Cela donne une image malsaine du crédit.
On est en retard en matière d'éducation financière avant tout. Il faut faire de la pédagogie, expliquer comment fonctionne un chèque, un crédit, etc. Il faut promouvoir l'éducation et l'amélioration de la vérification de la solvabilité. En cela, le registre participe à la prévention du surendettement ».
A quoi est dû ce retard dans la mise en place d'un registre des crédits aux particuliers ?
J.-L. K. : « A l'opposition de deux grands groupes bancaires principalement, qui craignent l'ouverture à la concurrence. Vous ne verrez pas une banque étrangère s'installer en France. Il y a une vraie atteinte à la libre concurrence.
Ces groupes ont aussi la crainte d'engager leur responsabilité en cas de surendettement, responsabilité qui pèse aujourd'hui uniquement sur l'emprunteur ».
Combien de dossiers de surendettement ont été déposés en 2013 auprès de la Banque de France ?
J.-L. K. : « Plus de 232.000. 40% d'entre eux ont même été redéposés une seconde fois, faute d'un accompagnement suffisant, de la situation économique et de problèmes juridiques. Des réglementations et des barèmes se chevauchent dans un système très compliqué. Les avis peuvent diverger d'une commission de surendettement à une autre ».
Combien y a-t-il de ménages surendettés en France ?
J.-L. K. : « Actuellement, le nombre de dossiers en cours est de 750.000. Mais on estime le nombre de ménages malendettés ou surendettés à plus de 6 millions ! »
De quoi découle le surendettement pour ces ménages ?
J.-L. K. : « Deux causes se conjuguent. C'est avant tout un dysfonctionnement dans le budget avec un trop grand nombre de crédits. La crise accentue cette situation avec les charges de la vie courante qui sont en hausse. La crise est devenue un révélateur d'une faille systémique.
Les banques ont de lourdes responsabilités dans cette situation. Elles devraient faire d'avantage de prévention ».
Vous faites partie des 4 finalistes du prix de l'entrepreneur social 2013 remis mardi soir, qu'est-ce que cela apportera à la fondation Cresus ?
J.-L. K. : « De la visibilité avant tout. Une reconnaissance de notre innovation. Ce prix est avant tout symbolique même s'il donne accès à du mécénat ».
Quels sont les projets de développement de l'association ?
J.-L. K. : « L'éducation budgétaire en premier ordre. L'on va pénétrer dans les écoles primaires et dans les lycées par l'intermédiaire d'un jeu sur tablette pour apprendre aux jeunes la gestion de la finance, de l'assurance, de leur budget, etc.
Cresus continue également le développement de notre plateforme téléphonique d'accompagnement et de prévention afin de trouver des solutions et réussir à éduquer financièrement des emprunteurs en situation de surendettement, ou proche du surendettement. Ils sont orientés vers nous par des acteurs financiers (institutions financières et établissements bancaires) avec qui nous avons des partenariats.
Nous avons aujourd'hui 7 lignes directes qui sont ouvertes. Environ un tiers des dossiers reçus sont sauvés et évitent le surendettement. Le reste, que nous continuons d'accompagner, sont orientés vers une commission de surendettement.
En résumé, c'est un jeu à trois avec la banque, nous et le citoyen qui doit réussir à prendre son budget en main. Notre objectif est d'aider l'emprunteur à se reconstruire ».